Robert Menasse – La capitale

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En ce mois de mai que viendront clore les élections européennes, je vous propose de découvrir un roman où l’Europe et la ville de Bruxelles jouent un rôle prépondérant : La capitale de Robert Menasse, pour lequel l’auteur fut récompensé en 2017 par le « Deutscher Buchpreis », un prix littéraire couronnant lors du salon du livre de Francfort  le meilleur livre de langue allemande de l’année.

Écrivain autrichien né en 1954, Robert Menasse est à la fois traducteur (du portugais vers l’allemand) et auteur. Déjà lauréat du Prix du livre européen en 2015 pour « Un messager pour l’Europe : plaidoyer contre les nationalismes », l’Europe tient donc un rôle essentiel dans son oeuvre.

Dans « La capitale », tout commence de façon assez surprenante par un cochon se promenant en liberté dans les rues du centre-ville de Bruxelles, effrayant les passants. Une occasion pour Menasse pour introduire les personnages principaux du roman, tous témoins de cette scène surréaliste ; et aussi d’instiller un humour qui accompagnera le lecteur tout au long de sa lecture. S’y ajoute un meurtre commis dans un hôtel et qui lui confère un côté « thriller ».

L’histoire met principalement en scène des fonctionnaires de la Commission Européenne, chargés d’améliorer l’image de cette dernière à travers un projet nommé « Big Jubilee Project ». On pénètre ainsi dans les arcanes de la Commission, où la culture ne semble pas bénéficier d’un grand prestige (proportionnel au faible budget), contrairement au commerce et à l’agriculture. Martin Susman, un des fonctionnaires, a l’idée de mettre en avant des survivants du camp d’Auschwitz lors de ce Jubilé, afin de revenir aux sources du projet européen. Robert Menasse offre une vision assez critique de certains personnages, comme sa chef Fenia Xenopoulou, toute déniée à son travail mais qui vit très mal son affectation à la culture et veut utiliser le succès du projet pour revenir à la Direction du Commerce, ou encore ce qu’il appelle les « salamandres » :

C’est la nouvelle génération chez nous, avait expliqué Bohumil, pas des Européens, mais seulement des carriéristes au sein des institutions européennes, ils sont comme les salamandres, on peut les jeter au feu, mais ils ne brûlent pas, ils sont indestructibles.*

A côté de ces fonctionnaires, on suit l’enquête du commissaire Brunfaut sur le meurtre de l’hôtel Atlas, la participation d’un professeur d’université à la retraite à la réunion d’un « think tank » européen, ou encore l’un des derniers survivants du camp d’Auschwitz. J’avais lu sur ce livre qu’il était « foisonnant », et je ne peux trouver meilleur adjectif pour le caractériser. On suit les parcours des différents personnages (qui se croisent sans se rencontrer dans différents lieux de la capitale), le développement de préparation du Jubilé. D’un côté, on assiste à des luttes d’influence, on a l’impression que l’Europe devient un terrain d’opposition entre des personnes et des Etats Nations plutôt qu’un projet commun. A titre d’exemple, des négociations bilatérales sont entreprises avec la Chine par certains pays pour exporter de la viande de porc (et oui, le cochon est très présent dans ce livre), au détriment de l’unité européenne. De l’autre, on sent bien l’appel de Menasse à dépasser cette Europe uniquement « marché commun » pour revenir à l’essence du projet européen : la collaboration et la paix, symbolisé par la phrase « Plus jamais Auschwitz ».

Ainsi, quand un « think tank » européen n’est pas capable d’imaginer une seule idée neuve pour faire avancer l’Europe, c’est le professeur Erhard, vers la fin du roman, qui plaide pour une Europe dépassant les frontières, avec une nouvelle capitale européenne :

C’est la raison pour laquelle l’Union doit bâtir sa capitale à Auschwitz. C’est à Auschwitz que la nouvelle capitale européenne doit voit le jour, planifiée et édifiée comme ville du futur, mais aussi comme ville qui ne peut oublier. « Jamais plus Auschwitz ! », voilà le socle sur lequel l’oeuvre d’unification européenne a été édifiée. Et dans le même temps, c’est une promesse pour tout notre avenir. Cet avenir, nous devons le construire sous forme d’un centre de l’Europe, un centre qui fonctionne et qui donne l’impression qu’il fonctionne. Avez-vous le courage de réfléchir à cette question ?

En résumé, de l’humour, de l’intelligence, et une réelle invitation à la réflexion sur le projet européen caractérisent ce livre.

Je vous conseille donc de :

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lire autre chose

La capitale, de Robert Menasse. Verdier, 2019. 438 pages.

Version allemande (lue ici) : Die Haupstadt, de Robert Menasse. Suhrkamp, 2017. 459 pages.

*Traduction faite de l’allemand par mes soins

Ce livre a été lu dans le cadre du Défi littéraire 2019 de Madame lit, consacré en mai à un roman se déroulant dans une ville européenne.

8 réflexions sur “Robert Menasse – La capitale

  1. luocine 12 Mai 2019 / 13:45

    je le note tout de suite, en ce moment où tant de gens doutent de l’Europe il ne peut qu’être utile.
    PS j’adore la photo on sent le bon moment de lecture

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    • Patrice 20 Mai 2019 / 04:08

      Exactement, c’est le sentiment avec lequel je refermais le livre. Quant à la photo, je ne peux qu’acquiescer 🙂

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  2. Madame lit 12 Mai 2019 / 17:51

    Quel bon choix en ce mois sous le signe d’une ville européenne. On sent l’éclatement dans le fond. Un éclatement ayant un point central. Merci pour ce choix! Au plaisir!

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    • Patrice 20 Mai 2019 / 04:07

      Merci beaucoup pour cette idée de défi qui m’a donné le dernier coup de pouce pour m’attaquer à ce livre qui, au demeurant, se lit très bien !

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  3. Tania 19 Mai 2019 / 18:04

    J’avais entendu parler de ce roman sur les Eurocrates, comme on les appelle souvent, et ta critique m’a fort intéressée. Je le lirai, bien sûr, sans doute pas avant les élections ;-).

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    • Patrice 20 Mai 2019 / 04:01

      Ca me paraît en effet peut-être un peu juste en terme de délai avant les élections, mais c’est vraiment un livre que je te conseille. Merci pour le commentaire !

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