Alain Claude Sulzer – Leçons particulières

Alain Claude Sulzer, écrivain suisse, est connu en France surtout pour son roman Un garçon parfait qui a reçu le Prix Médicis en 2008 et c’est à lui que revient l’honneur d’ouvrir sur notre blogue Les feuilles allemandes 2019. Je me fais toujours un plaisir de faire découvrir aux autres des romans qui passent un peu plus inaperçus, d’où mon choix d’aujourd’hui qui se porte sur Leçons particulières, le huitième roman de cet auteur bâlois.

Dans ce livre intimiste, l’écrivain met en scène un jeune homme, Léo, qui vient d’arriver en Suisse en 1968 pour demander l’asile. De quel pays vient-il exactement ? A moins que je ne sois passée à côté de certains indices (ce qui est fort probable), la réponse à cette question reste un peu floue. On sait néanmoins que Léo émigre l’année du Printemps de Prague, que les descriptions des repas de Noël qu’il se remémore sont très proches de ceux que j’ai dégustés moi-même, mais il parle russe. Les conditions de vie de sa grand-mère, abandonnée seule dans son pays, me font davantage penser à une région pauvre, marquée par l’agriculture, dans l’ex-Union Soviétique. Pour brouiller les pistes encore plus, l’auteur remercie à la fin deux dames, dont l’une est Slovaque et l’autre Tchèque. C’est bien sûr une question marginale, mais j’aurais bien aimé savoir. Il ne me reste plus qu’à utiliser l’expression tant aimée par les Français : Léo vient de l’Europe de l’Est. Une phrase qui ne dit rien et tout en même temps.

Résultat de recherche d'images pour "LECONS PARTICULIERES SULZER""

Evidemment, ce serait fort dommage de réduire ce livre à une question d’origine. D’autant plus qu’il nous fait rentrer dans la vie intime de plusieurs personnes, chacune dans une autre étape de sa vie. Léo, la vingtaine, considère la Suisse comme un pays transitoire – il aimerait bien rejoindre son frère parti au Canada. Il est assez ambitieux, il accepte donc tout de suite la proposition d’apprendre l’allemand pour pouvoir avancer.

Pour cela, on lui choisit Martha, car elle est très disponible. Elle a 34 ans, deux enfants. Son travail d’enseignante est mis de côté pour pouvoir se consacrer à la famille (son mari est avocat). Ses motivations de départ, c’est probablement sa volonté de se rendre utile, elle est donc parfaitement préparée pour chaque leçon. Et elle retrouve en Léo un étudiant de rêve : appliqué, volontaire et concentré. Pendant leurs conversations, comme Léo arrive à s’exprimer de mieux en mieux, Martha en apprend davantage sur son passé, sa famille ou alors sa bien-aimée qu’il a laissée au pays.

Léo et Martha sont seuls, chacun à leur façon. Léo se retrouve coincé dans un pays étranger, hébergé dans une famille de médecins suisse. Martha se retrouve dans un impasse différente – les enfants adolescents qui vont bientôt quitter le nid familial et puis son mari qui a ses intérêts plutôt ailleurs. Ces deux êtres vont s’attirer l’un vers l’autre pour une relation courte mais sensuelle qui va les marquer (ou pas) de façon différente.

Le tout est observé par Andreas, le garçon de Martha âgé de 16 ans. Ses mots introduisent le livre, car c’est lui qui entreprend ce voyage pour questionner Léo sur son passé, des dizaines d’années plus tard.

Avant de rédiger ce billet, je suis allée voir la quatrième de la traduction française et j’étais assez scotchée en lisant ceci : « Obnubilé par le but qu’il s’est fixé, il utilise froidement tous ceux qui l’aident sans se préoccuper de leurs sentiments. » Je ne voyais pas Léo sous cet angle. J’ai trouvé plutôt un garçon qui certes s’est fixé un but (rejoindre son frère, partir en Amérique – il était tout de même encouragé pour cela durant toute sa vie par sa famille qui considérait l’Amérique comme la terre promise), mais qui, dans l’insouciance de la jeunesse, s’attachait peut-être moins aux gens. Il a cherché la proximité, la tendresse de quelqu’un, car il était quand même tout seul, sans ami ni famille, dans un pays étranger. Dans les souvenirs, je suis assez loin d’utiliser ces mots forts que sont « obnubilé, utiliser froidement, sans se préoccuper ». Néanmoins, l’auteur pose ici la question intéressante de la « culpabilité » de l’immigré, de sa conscience, de l’impact de ses décisions sur ses proches qui eux restent dans un pays totalitaire et sont souvent contraints à en subir des conséquences.

Un roman intéressant, touchant (je dois ici mentionner surtout Olga, la grand-mère abandonnée) et toujours d’actualité.

Je vous conseille donc de :

X l’acheter chez votre libraire

X l’emprunter dans votre bibliothèque

lire autre chose

FR : Leçon particulières d’Alain Claude Sulzer. Traduit par Johannes Honigmann. Editions Jacqueline Chambon, 2009, 256 pages.

DE : Privatstunden, Alain Claude Sulzer. Epoca, 2007, 219 pages.

DSC_0757

 

Ce livre a été lu dans le cadre des Feuilles allemandes, consacrées à la littérature de langue allemande. Pour y participer, rien de plus simple.

  1. lisez un livre d’un(e) auteur(e) de la langue allemande (Allemagne, Autriche, Suisse…) tous genres confondus
  2. partagez votre lecture sur votre blogue au cours du mois de novembre et jusqu’au 8 décembre et communiquez-moi s’il vous plaît le lien vers votre billet pour que je puisse l’intégrer dans notre bilan à la fin
  3. revenez ensuite au point 1.

 

6 réflexions sur “Alain Claude Sulzer – Leçons particulières

  1. luocine 2 novembre 2019 / 00:02

    Je ne suis pas du tout certaine d’avoir envie de lire ce roman mais haï bien aimé lire ton billet.

    Aimé par 1 personne

    • Eva 4 novembre 2019 / 21:02

      Merci, c’est mieux que le contraire !

      J’aime

      • Goran 5 novembre 2019 / 08:50

        J’ai quand même voté 🙂

        J’aime

  2. Tania 12 novembre 2019 / 16:02

    J’avais aimé « La jeunesse est un pays étranger » dont le titre entre en résonance avec le sujet de ce roman-ci. Je me laisserais bien tenter.

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.